douleur 2003
TEMOIGNAGE
Voici quelques extraits de moments d’écriture et d’émotions qui m’ont été adressés par une participante à une formation à l’écoute qui l’a aidée dans son chemin et l’a invitée à une écoute plus profonde d’elle-même et de sa douleur.En témoignage à ce que peut être une formation à l’écoute.
Jean-Luc Deconinck
A l' écoute de ma douleur
Chemin de « guérison »
Octobre 1996 - Juin 2002
Jocelyne PADERI
Témoigner de tant d'années de douleur et de souffrance, pour leur donner un sens, mais aussi en guérir, lutter pour guérir, guérir pour garder la force d'aimer la vie malgré toutes ses difficultés, c'est ma façon de dire MERCI, merci à tous ceux qui ont participé à « ma guérison ».Née en 1951, atteinte d'une dysplasie des deux hanches diagnostiquée tardivement à l'âge de 26 ans, j'ai été opérée trois fois de la hanche droite, deux fois de la hanche gauche entre 1978 et 1995. Ces opérations techniquement nécessaires et bien réalisées n'ont pourtant pas supprimé pendant toutes ces années, toutes les douleurs, toutes mes douleurs. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, je n'ai pas, depuis l'âge de 6 ans, le souvenir de la nondouleur.Je peux même enfin dire combien depuis cet âge la douleur a envahi mon corps et ma vie, y ajoutant les sentiments de honte, de culpabilité, manque de confiance en moi, et repli sur moi-même malgré les apparences et les moments d'enthousiasme que j'ai pu avoir. J'ai donc vécu dans une «forteresse hermétique u comme prisonnière, fatiguée, déprimée, désemparée, désarmée, subissant cette torture journalière avec un grand sentiment de solitude, d'incompréhension, d'impuissance, d'inutilité et parfois l'envie d'en finir avec cet enfer-là, comme beaucoup de ceux qui souffrent physiquement et moralement.Toute douleur entraîne une souffrance. Si elle ne se voit pas, souvent elle se cache, se tait par honte ou sentiment de culpabilité. Si elle se dit, on ne l’entend pas toujours, on n'y croit pas ou on la minimise. Pour ma part, pendant toutes ces années, mes douleurs me détruisent, me laissent impuissante ainsi que mon entourage. Je vais pourtant en guérir. La douleur maintenant peut être et doit être soulagée. Mais elle doit avant tout être reconnue et écoutée, par des médecins, des psychologues, des spécialistes de la douleur. Reste ensuite à oser une autre rencontre avec elle au plus profond de soi. Je vais ainsi devoir dire plus profondément où j'ai mal, comment je vais mal, prendre le temps de m'écouter, plus encore d'entendre. La douleur demande d'exiger beaucoup de soi-même et de moins attendre des autres. Cela aussi c'est possible même si c'est difficile.
A l'écoute de ma douleur, face à moi-même.
Après une rechute de plusieurs mois, je vais être de plus en plus attentive à l'écoute de ma douleur, je vais continuer d'avancer sur ce chemin plein d'embûches mais salvateur.
Chercher les trésors enfouis, me débarrasser des traumatismes de l'enfance, des agressions de la vie. En même temps je décide d'entreprendre un travail sur le deuil.
Une formation en 12 journées où j'apprends ce qu'est l'écoute, l'écoute de soi, l'écoute de l'autre. Parler du deuil, des douleurs de deuil réveille en moi de profondes souffrances, toutes associées à ma douleur physique, à mes brûlures du bassin .Enfin mars 2001, et je sais aujourd'hui que le souvenir de la douleur a commencé avec la destruction de ma maison. Notre baraquement étant situé sur un terrain de la ville, nous sommes expulsés, le baraquement détruit. La ville construit des immeubles neufs à la place et mes parents doivent trouver une solution pour nous loger. Pour moi c'est un événement dramatique, douloureux, et violent. Je ressens cette destruction comme une violation. Ma maison, c'est mon corps.
Et ce mot « DOULEUR » porte toute sa signification. Là commence le souvenir de la douleur permanente, et la perte de mon insouciance. Je prends conscience de toutes les difficultés de mes parents, de toutes les difficultés du monde. Pour mes parents, ce sera aussi de longues années de galère financière et pour Papa, qui est peintre en bâtiments, de longues heures de travail le soir et le week-end pour construire sa maison, pour mon père et ma mère, trop de privations et de larmes. En effet, avant tout, pour nous préserver et sans doute par aspiration légitime mes parents refusent la possibilité d'être relogés en cité HLM, et malgré le manque d'argent achètent un petit terrain et construisent un modeste pavillon. Je n'ai jamais pu aimer cette maison, n'ayant jamais fait le deuil de notre baraquement.Je comprends aussi que je n'ai pas terminé le deuil du premier enfant qui n'a pas pu naître, ni les conditions dans lesquelles je l'ai perdu. Je croyais avoir fait le deuil d'avoir un autre enfant après la naissance de notre fils. Je pensais ce chapitre de vie complètement achevé pourtant ce deuil là non plus n'était pas fait.Ce travail sur le deuil va m'embarquer beaucoup plus loin que je ne pensais. Lorsqu'on se met à écouter, s'écouter ou écouter les autres, les émotions éclatent, celles du passé resurgissent, le corps vibre, résonne profondément, souffre de nouveau pour avouer la douleur et la souffrance intimement mêlées, qui pendant des années se sont nourries l'une de l'autre. Je peux enfin en parler.Je pense avoir mis à nu l'essentiel de mes douleurs, de mes souffrances, de mes peurs, de mes sentiments de culpabilité, d'impuissance, mes deuils non acceptés qui sont venus pendant toutes ces années nourrir la douleur. J'ai enfin pu exprimer tout cela, pu mieux comprendre qui je suis et depuis j'ai pu me sevrer de la codéine. Je sais maintenant que ce n'est pas une coïncidence. Mon corps a tant crié, il s'accorde, il nous accorde enfin des moments de silence.J'en suis apaisée, soulagée, libérée. C'est confortable ce qui ressemble à la non douleur.
La relaxation, l'autohypnose sont une technique dont je fais largement usage. Et enfin, moment de solitude, sollicitude, moment d'accueil, moment de soin, de silence, de respect et d'écoute, d'attention, de moi-même, de ma douleur, de ma souffrance. Moment de solitude, temps de guérison bienfaiteur, réparateur, incontournable, généreux, temps de soulagement, enfin douleur douceur, douleur amie, douleur couleur de vie, prévenante et attentive à mes gestes et à mes émotions. C'est elle qui me prévient désormais des gestes à ne pas faire, des limites à ne pas dépasser. Elle qui me rapproche de la vie, du sens de la vie.
Pour se sentir guéri et plus heureux de vivre, je pense qu'il faut :
• Avoir rencontré la personne qui a pu nous aider à nous soigner, nous soigner humainement dans notre intégralité.
• Etre écouté
• Demander de l'aide et l'accepter, c'est-à-dire prendre une part active dans le protocole de soins, être motivé et avoir un réel désir de guérison
• Comprendre le plus possible le problème de la douleur et ses complexités, ce qui suppose le préalable d'un temps de partage, partage de l'information, du savoir de la part du soignant et du patient, enfin partage d'une relation de confiance.
• Changer de comportement et adopter une hygiène de vie en accord avec soi et par respect de soi, trouver dans quel équilibre être bien.
• Relativiser les difficultés.
• Savoir renoncer et faire la paix avec soi-même, et trouver son chemin, en prenant le temps qu'il faut, étape par étape.
• Ne pas attendre de guérison totale, la guérison totale comme le bonheur parfait sont des illusions mais toujours s'accorder le temps du dialogue avec la douleur pour une cohabitation difficile mais plus tranquille, et faire la paix avec elle comme on l'a fait avec soi-même.
• La douleur chronique est une maladie tellement complexe, qu'il y aura encore des moments aigus de crise dans ma vie où la douleur augmentera à nouveau, pour différentes raisons apparentes, ou non, physiques, psychologiques, culturelles, environnementales ou émotionnelles.
Rien ne sera plus comme avant. Maintenant, nous saurons mieux vivre ensemble. Nous saurons à ce moment-là, l'écoute que nous devons nous accorder mutuellement. A moi d'agir, de réagir, de ne plus laisser la douleur m'envahir et me détruire. Il faut beaucoup de patience et d'humilité, face à la douleur, face à la maladie, mais aussi beaucoup de détermination pour « guérir ». J'ai eu pour ma part beaucoup d'aide et beaucoup de chance sur ce chemin de guérison. Je souhaite que la médecine de demain fasse une large place à l'écoute, à l'éducation du patient et à la prévention. Je pense aux nombreux malades qui souffrent pour les encourager à oser dire. Je sais que leur parole est une part de guérison qu'aucun soignant n'a pu m'apporter. Leur témoignage une part d'identité retrouvée. Je témoigne pour demander pardon à tous ceux que j'aime, pour réparer le mal que j'ai pu faire malgré moi à mon mari et à mon fils, à ma famille et mes amis. Je les remercie pour leur amour et leur générosité. Je remercie mes parents pour leur courage et les facultés d'adaptation qu'ils m'ont donné malgré les soucis financiers et leurs propres difficultés à vivre. J'espère que tous me comprendront mieux, qu'ils me pardonneront mes moments de lassitude à venir et m'accorderont ceux de solitude dont j'ai besoin. Pour ma part, j'espère à l'avenir être plus à leur écoute. II me fallait parler avant de mettre en oubli cette douleur du passé, et continuer mon chemin de vie, le plus souvent possible le corps en silence, en sommeil et rester vigilante à son réveil.
Parler, dire, être écoutée pour ne pas avoir à me plaindre.
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